Pourquoi? Pourquoi aller dans des zones de combats? Tourner dans les charniers de corps décapités? Pourquoi aller photographier des morts de faim? Des mères de famille dans des camps de réfugiés? Après tout on n'est pas obligés d'aller se traumatiser... On pourrait kiffer la reproduction des lions dans la savane, les success story des mecs-de-cités? Y'a pas à dire, y'a aussi du beau dans le monde, qui vaut (sans doute) la peine (aussi) d'être raconté. Alors pourquoi?

Il y a quelque chose d'immoral à dire qu'on aime ça. Dire que l'adrénaline des balles qui sifflent, ça fait courir mais qu'est ce que c'est bon. Dire aussi que les camps de réfugiés "ça fait des images", dire encore que les histoires sont belles quand elles sont dramatiques. C'est trop pêché. Et pourtant.

Pourtant, c'est sûr, personne ne le dit comme ça. Pour pas crisper les gens, il faut qu'il y ait quelque chose d'humanitaire dans notre vocation. Pour Haïti, on disait : "il faut raconter, comme ça les gens vont donner de l'argent aux ONG". Pour Florence Aubenas, on disait : "grâce à son infiltration, les femmes de ménage ont eu leurs heures sup".

C'est comme ça, nos lecteurs ont besoin de trouver les raisons de ces galères. Dire qu'on fait notre métier, ça suffit pas. Alors les confrères répondent encore: "si mon travail a pu servir à quelqu'un, au combat des petites filles en Inde, à celui des jeunes femmes excisées, je serais content". Mais voilà, posez leur la question dérangeante: "Et si ça ne leur avait pas servi, vous l'auriez fait quand même?" Oui, sans l'ombre d'un doute. On est journaliste et... on aime ça.

Quoi qu'on en dise, ce qu'on veut faire c'est du journalisme, sinon on n'aurait fait Mère Teresa. Tout cela peut paraître cynique, cru et cruel, parce qu'on est pas des machines à écrire et qu'on est humain. Tout cela nous touche, nous crève, nous PTSD. Mais...

On est là pour raconter et pour beaucoup, on a pas envie d'être des journalistes de contes de fées. Je vois déjà les donneurs de leçons, so-chocked parce que je viens d'écrire, en mode "mais tu peux pas dire ça, c'est grave, c'est affreux tout ces gens qui meurent, on fait aussi cela pour apporter notre pierre à l'édifice, pour changer le monde". MDR. Soyons un peu honnêtes, si on n'avait le choix : les lions de la savane ou le tremblement de terre à Haïti?

Journalistes de contes de fées

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